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Codex Urbanus, de Montmartre à Saint-Malo

Saint-Malo, c'est un endroit à nul autre pareil. Une presqu'île de 16 ha (à l'origine) coincée entre une anse marécageuse et la Manche, dans une baie parsemée de forts. Saint-Malo, c'est l'Histoire avec un H majuscule, celle des guerres, de la Course, du commerce international. Saint-Malo, ce sont des hommes et des femmes aux personnalités exceptionnelles qu'on retrouve dans les livres d'histoire aujourd'hui. 

Alors, forcément, Saint-Malo est une source d'inspiration pour beaucoup d'artistes. 

Aujourd'hui, je vous présente CODEX URBANUS que j'ai eu le plaisir d'interviewer ce vendredi 27 mars 2020 : 

Rue des Cordiers, intra-muros

Rue Traversière, intra-muros


CODEX URBANUS, je l'ai découvert en déambulant dans les ruelles de l'intra-muros. J'y ai découvert ses monstres improbables, tout droit sortis d'un bestiaire fantastique. Et j'ai trouvé que ces bestioles allaient parfaitement avec l'ambiance portuaire et légendaire de Saint-Malo, pays des corsaires et des sirènes. 

J'ai voulu en savoir plus et je vous livre donc ici mon échange avec cet artiste très célèbre à Paris mais malheureusement encore peu connu chez nous. 


J'ai commencé par une question un peu provoc pour tester la réaction de l'artiste. Je n'ai pas été déçue...

 

 

Vous exposez depuis 2013. Le street art, à la base, c'est l'intervention illégale dans l'espace public. Que répondez-vous à ceux qui peuvent dire que vous avez trahi le mouvement ? 

Déjà que le terme de trahison est un peu fort pour un truc qui reste discutable sur le fond. En effet, l'un n'empêche pas l'autre. Pour moi, le street art, c'est le fait de placer gratuitement, systématiquement et sans autorisation de l'art dans l'espace urbain. Et donc, par définition, de l'art fait pour la galerie, une institution ou un festival ne peut jamais, à mes yeux être considéré comme du street art. En revanche, on peut faire le lien entre les deux activités : je dessine depuis plus de 40 ans, et personne ne s'était jamais intéressé à mon travail avant qu'il ne soit sur les murs. Les gens qui viennent voir mon travail en galerie le font clairement à cause de mon activité illégale par ailleurs, et le lien existe, qu'on le veuille ou non. Mais en galerie, le terme street art est plus une étiquette qui vient faire le lien qu'une réalité : le vrai street art est dans la rue. 

Et bien sûr s'ajoute aussi l'aspect financier : souvent les gens qui critiquent le passage en galerie soulignent l'aspect mercantile de la galerie. Cependant, les artistes sont des humains comme les autres et doivent payer leurs factures, et l'idée aristocrate qu'ils ne devraient pas vivre de leur art me semble vraiment frelatée, d'autant plus qu'elle est souvent énoncée par des gens qui, eux, n'ont pas de problèmes de revenus par ailleurs…"

Les fresques déposées à Saint-Malo datent de 2015. J'en ai retrouvé 2. Y en-a-t'il d'autres ? 

Pourquoi êtes-vous venu à Saint-Malo ? 

Saint-Malo est une ville porteuse pour l'imaginaire, avec ses lourds remparts se fermant la nuit pour laisser des molosses patrouiller sur la plage, les corsaires se retrouvant dans les tavernes pour parler d'expéditions exotiques, les rues "lovecraftiennes" étroites et humides… C'est vraiment magique. C'est un plaisir d'intervenir là, même si j'avoue avoir du mal avec le côté 1950 de la Reconstruction. 

Le choix des murs se fait comme souvent de façon opportuniste ; le gros de la ville est en granit, ce qui rend impossible le travail au posca, j'ai donc un choix limité de murs sur lesquels je peux intervenir. 

J'ai plein de souvenirs à Saint-Malo, mais marcher seul au milieu de la nuit dans la vieille ville pour dessiner des monstres marins ne sont pas les moins importants. 

Basé à Montmartre, Codex Urbanus y a déposé plus de 400 monstres ! 


CODEX URBANUS, qui êtes-vous ? 

Je n'ai aucun bagage artistique et je viens d'une famille où l'art était plus une tare qu'une discipline respectable ! J'ai toujours eu un grand appétit pour les mondes de l'imaginaire, que ce soit en bande dessinée (d'où Sfar, entre autres), en film ou en peinture. Jeune, j'avais peu de livres d'art, mais j'avais Dali, Mucha, Bosch et Mc Escher dans ma bibliothèque. J'étais un élève moyen à l'école, je ne savais pas ce que je voulais faire, et j'ai fini par échouer dans ce que je savais ne pas vouloir faire : l'économie et la gestion. J'ai un MBA américain et j'ai travaillé 10 ans dans la communication internationale avant de tout lâcher. Mes parents ne m'ont jamais encouragé à faire de l'art, bien au contraire ! 

Aujourd'hui, j'ai plusieurs jobs sans lien avec l'art, qui me permettent de vivre. Je suis assez heureux de ne pas avoir à vivre de mon art car cela me forcerait à tout accepter et je serais moins libre. Je pense que je serais moins intéressé par mon art si il devenait obligatoire. Mais c'est à chacun de mettre en place ses stratégies...


Vos relations avec la police ? Avez-vous déjà été verbalisé ? 

Forcément, avec presque 500 créatures vandales, je suis tombé plusieurs fois sur la BAC ! D'abord, je suis toujours d'accord avec eux : je n'ai pas le droit de faire ce que je fais. C'est une infraction. Ensuite, je commence toujours par la créature, ce qui rend l'ouverture d'une procédure délicate : aucun officier de police ne veut appeler un procureur pour savoir si il faut placer un mec qui dessine un scarabée-girafe en garde à vue

 

NDLR : Le fait de couvrir un mur de graffitis et autres décors non autorisés est passible d'une amende de 1500 à 3000 euros, de la remise en état sans limite de frais et jusqu'à 2 ans de prison pour dégradation du bien public. ça coûte beaucoup moins cher pour les collages, d'où la préférence souvent marquée pour ce type d'intervention dans l'espace public. 

Quelle est la question qu'on vous pose souvent et qui vous agace ? 

Quel est mon message ? Beaucoup de gens pense que l'art en général et le street art en particulier doit avoir un message. Or, moi, j'aime l'art pour l'art. Quel est le message de la Joconde ou des Tournesols de Van Gogh ? Je ne revendique rien d'autre que la poésie et l'imaginaire, et dans un monde dédié à l'efficacité, c'est déjà pas mal ...

 

Que pouvez-vous me dire de Gzup, War, Invader, que les Rennais apprécient beaucoup ? 

Je connais War par son excellent travail, que j'admire et qui colle bien à l'idée que je me fais d'une scène de street art locale puissante. Gzup est un artiste discret et extrêmement efficace, dont on peut voir les poulpes funky à chaque coin de rue parisien. Nous avons déjà eu l'occasion d'échanger sur les réseaux sociaux et c'est quelqu'un que j'admire beaucoup. 

Bien sûr, Invader apparaît aujourd'hui comme un grand nom de la scène française, et c'est mérité : il a ouvert la voie des petits collages en hauteur qui sont typiquement parisiens (et dans lesquels Gzup s'inscrit), et il a toujours un coup d'avance, avec son app et ses réactivateurs.

Dans l'intra-muros, cette bestiole a été éffacée...

Votre rapport à l'anonymat ? 

Ca n'est essentiel que pour les graffeurs vandales qui tapent des trains. Pas pour les street artists. 

Pour les street artists, c'est soit une flippe, soit une stratégie de com'. Banksy ne serait pas Banksy si on connaissait son identité… Moi, je suis facilement joignable, mon identité réelle n'est pas cachée, et j'assume ce que je fais même si je sais que c'est une infraction, visée à l'article R-322 du Code Pénal. En revanche, je trouve pathétique les colleurs qui masquent leur visage en mode vandales sur les photos quand on sait que le collage n'est puni que d'une contravention de 38 € pour souillure. C'est parfaitement ridicule de se jouer la comédie en se prenant pour Mesrine ! 

 


Il est passionnant, cet artiste, n'est-ce pas ? 

Je vous invite à chercher ses œuvres dans l'intra-muros mais également à Paris à l'occasion d'un prochain voyage. Vous m'enverrez des photos ! 

 

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Commentaires: 2
  • #1

    Laurence G (samedi, 28 mars 2020 15:02)

    Ah oui, chouette cet article. J'adore son univers, mais j'avoue ne le connaissais pas bien, merci de combler mes lacunes. Dès que l'on peut déambuler sans restriction, je pars volontiers à la chasse aux bestioles. St Malo ville porteuse d'imaginaire, complètement d'accord, j'adore l'atmosphère qui s'en dégage, très bien décrite ici, et la référence à Lovecraft.

  • #2

    Cathy (vendredi, 01 mai 2020 11:49)

    Il y en a bien plus que deux, intra-muros... et elles sont super belles ! Les dernières datent de cette année ou de l'année dernière...