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Quand Garangeau voulut agrandir Saint-Malo

Quand vous arrivez sur l'intra-muros par l'écluse du Naye, vous ne pouvez pas les louper ! Derrière la statue du malheureux La Bourdonnais, vous apercevez 2 hôtels particuliers accolés. Bon ok, vous ne voyez qu'un édifice mais croyez-moi sur parole, il s'agit bien de 2 hôtels particuliers distincts ! Regardez bien ! La séparation entre les 2 est marquée par une tête de cheminée plus épaisse que les autres. Vous la voyez ? 


 

 

Au 1 rue d'Asfeld,

un heurtoir en fer

forgé qui est là

depuis 1730 ! 

Des Malouins récalcitrants

Jusqu'aux premières années du XVIIIème siècle, Saint-Malo (entendons-nous bien, je parle de l'intra-muros) s'étend sur 16 ha. La richesse de la ville à cette époque lui permet de s'agrandir par le 1er accroissement commencé en 1708, sous les directives de l'ingénieur Garangeau (ou Garengeau, comme vous voulez). La communauté de ville n'avait pas été très enthousiaste. En effet, agrandir l'offre d'hôtels particuliers et d'immeubles de rapport feraient automatiquement baisser la valeur des édifices déjà en place. 

Quand Garangeau lance le 2ème accroissement, à partir de 1714, les Malouins sont franchement hostiles. Il va devoir revoir sa copie et réduire le projet. 4 îlots seront construits, bordés des rues de Dinan, d'Orléans, Saint-Philippe, Feydeau, d'Asfeld et de Toulouse. 


Cherchez les épigraphes !

Bien que toutes les parcelles du 2ème accroissement ne soient pas encore vendues, Garangeau s'assure du soutien de l'évêque et du Marquis d'Asfeld, surintendant des fortifications, pour lancer la construction du 3ème accroissement. Le chantier commencera en 1721. 

Vous avez noté que j'utilise le mot "accroissement" qui peut paraître curieux mais, oui, à Saint-Malo, on ne parle pas d'agrandissements ni d'extensions. Comme on vous corrigera si vous vous extasiez devant les mouettes parce que ce sont des goélands, quoique, on en revoit de plus en plus des mouettes à Saint-Malo donc bref ...

Cherchez les dates sur les façades ! 

Sur la fontaine publique, près de la Grand'Porte, vous trouverez la date de 1725. Sur la façade de l'ancienne Banque de France, 1724. Sur les balcons de nos 2 hôtels particuliers, regardez bien ! Quelle est la date gravée dans la pierre ? 

Pourquoi ne mettre de balcons qu'au second étage ? Il vous

suffit de venir vous promener sur les remparts pour comprendre : la vue présente peu d'intérêt en-dessous puisque les magnifiques perspectives sur le port ne sont visibles qu'à partir du 2ème étage.

Evidemment, ces beaux hôtels particuliers n'ont pas traversé les siècles sans dommage ! Des garages ont défiguré les façades (voir ci-contre et au-dessus). 


Après le 3ème accroissement, un dernier projet d'agrandissement sera réalisé mais partiellement. En effet, quand les travaux commencent en 1737, la ville n'est plus si riche. L'âge d'or de Saint-Malo est terminé. L'accroissement ne sera pas aménagé et deviendra un parking très pratique pour les touristes aux siècles suivants :) 

Au total, Saint-Malo sera passée de 16 à 24 hectares au cours du XVIIIème siècle ! 

Regardez de plus près le type de bossage utilisé (pour savoir ce qu'est un bossage : clic)

C'est un bossage à anglet. C'est nouveau à cette époque. Le premier édifice à recevoir ce traitement est le bel hôtel de Plouër, un peu plus loin dans l'intra-muros. Il s'agit d'une coupe qui forme un angle droit (d'où le nom). 

NDLR : 

Un épigraphe, en architecture, c'est une indication portée sur une façade (la date de construction, le plus souvent).


AIG 15/01/2021

Bibliographie : 

Philippe PETOUT, La construction de 2 hôtels d'armateurs dans le 3ème accroissement de Saint-Malo,  MSHAASM, 1984

Philippe PETOUT, Hôtels et maisons de Saint-Malo XVIème, XVIIème, XVIIIème siècles, Editions Picard

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Commentaires: 4
  • #1

    francoise bigot (samedi, 16 janvier 2021 08:17)

    passionnant ... ! on croit tout savoir et ... bien entendu , on en découvre encore , grâce à vous ! merci infiniment ...

  • #2

    Pascale Perrin (samedi, 16 janvier 2021 11:15)

    Toujours aussi passionnante !
    Merci pour vos publications, si instructives sans jamais frôler la cuistrerie.

  • #3

    Anne-Isabelle (samedi, 16 janvier 2021 11:25)

    Merci merci pour vos commentaires ! C'est vraiment important pour moi de ne pas jouer les "érudits sur piédestal". Le patrimoine, c'est vraiment un échange de connaissances et de sensibilités. Je suis sûre que vous avez des choses à m'apprendre aussi !
    Super ravie que cet article vous plaise :)

  • #4

    Patricia Picard (lundi, 18 janvier 2021 09:16)

    Grand merci pour cet article c’est un ravissement