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Malfin nous raconte la Libération de Saint-Malo et c'est passionnant !

Bon, alors, soyons honnêtes, je n'y connais pas grand-chose en bande dessinée mais je peux vous assurer que le double ouvrage de Nicolas Malfin aux éditions Dupuis, est un chef-d'oeuvre du genre ! 

Dans ces 2 opus, la grande Histoire se mêle à la fiction pour vous entraîner dans les aventures de 4 jeunes malouins. Chacun choisira son camp ...

Les passionnés de BD reconnaîtront le dessinateur de Golden City ; les historiens s'émerveilleront devant la précision documentaire de l'ouvrage ; les "novices" (ni passionnés de BD, ni historiens) savoureront le coup de crayon et la colorisation et s'émouvront de l'histoire d'amour au coeur du récit et des destins des personnages percutés par des évènements qui les dépassent. 

On fait connaissance avec Nicolas Malfin ?

Nicolas Malfin, sur cette bande dessinée, vous êtes scénariste et dessinateur. Ce n’est pas très courant. Tout maîtriser, c’est plus simple ou plus compliqué ? Vous a-t-on attendu au tournant ? 

J'ai commencé ma carrière sur la série Golden City chez l'éditeur Delcourt en 1997. Je suis dessinateur de la série qui compte aujourd'hui 13 tomes. Je travaille en ce moment sur le 14ème. Cézembre est ma première BD que je scénarise. Quand j'ai eu envie de faire de la BD à 10 ans, j'avais l'envie de raconter des histoires. En tant que dessinateur il me manquait cette corde à mon arc et en 2017, j'ai commencé à travailler sur l'histoire de Cézembre. Le travail est plus long. Je n'ai pas encore l'efficacité ou la rapidité d'écriture mais j'aime cette partie du travail, la lecture et la consultation des ouvrages, des archives, créer des personnages et leurs faire vivre de folles aventures ! je pense que l'on m'attendait au tournant, ce n'est jamais acquis et je crois que le travail paie. Je me suis donc attaché à enrichir mon histoire et essayant d'être juste par rapport à la vérité historique. Même si mes personnages sont fictifs, ils sont dans cette grande histoire soit des témoins, soit des personnages actifs. Le tout est de trouver l'équilibre.

Quelque soit le projet, si l'on touche à cette part d'histoire, on se doit d'être précis, juste et la recherche est importante. Il faut aussi s'entourer de spécialistes qui ont cette connaissance, des historiens ou des témoins. Ces recherches sont enrichissantes. Elles sont comme l'essence qui active cette passion en nous. Elle est stimulante !

L'histoire commence à Cancale en juin 1940. L'épisode du navire qui se jette sur les rochers de l'île des Landes est-il tiré d'un fait réel ? 

La scène d'introduction de Cézembre m'a été inspirée d'un fait réel survenu en juin 1940 sur l'île de Sein, où un patron pêcheur avait percuté son bateau sur des récifs avec des soldats allemands à son bord. Ils lui avaient intimé l'ordre de poursuivre des jeunes Français qui fuyaient la France vers l'Angleterre. C'est un premier acte de résistance, la première fois qu'un Français avait décidé de dire Non au futur occupant. 

Qui vous inspiré le personnage d'Ewan ?

Pour Ewan, je souhaitais un héros qui soit marqué dans sa chair par l'arrivée des allemands, qu'il ait une haine de l'occupant et en même temps une certaine fragilité. C'est son impuissance à sauver son père qui sera le moteur de sa quête pour sauver son amour, Françoise. De risquer tout, jusqu'à partir à l'assaut de Cézembre.


Qu'est-ce que vous retenez comme éléments essentiels de vos recherches sur la Libération de Saint-Malo ?

Deux points importants de l'histoire, l'acharnement des américains à bombarder l'Intra Muros, croyant par un témoignage d'un espagnol de l'organisation Todt que les Allemands étaient dans la cité. Il fallait comprendre la cité d'Aleth et les Américains ont compris la city ! La ville... Il y a eu des bombes allemandes qui sont tombés sur la ville, mais en grande majorité, l'incendie est dû à des obus,, comme des obus au phosphore. Certains parlent d'incendie provoqué par des allemands, c'est possible.

Finalement, Cézembre, ça parle de quoi ?

J'ai essayé, à travers tous mes personnages fictifs d'avoir un juste regard sur la population d'aout 1944. Les passifs qui attendaient fébrilement les Américains, Les résignés qui attendaient leur sort, et ceux qui choisissaient leur camp bon ou mauvais en résistant ou en collaborant. Le personnage de Bastien est très apprécié par les lecteurs car la trajectoire de son histoire prête à réfléchir sur les choix et les circonstances qui ont amené Bastien à prendre le mauvais chemin. Ainsi que par sa rédemption au cours de l'aventure.

Etre Malouin se révèlera plus fort qu'être breton ou qu'être français.

 


Bastien est un personnage particulièrement intéressant. Pouvez-vous m'en dire plus à son sujet ?

Concernant Bastien, je me suis inspiré d'un breton qui a collaboré avec les nazis, il s'appelait Guy Vissault de Coëtlogon. Il croyait en une bretagne libre et lorsqu'il s'est aperçu que les SS le manipulait il était trop tard pour lui.

Bastien est un regard sur cette jeunesse qui a cru dans les promesses de l'occupant. Cela s'est passé de la même manière dans les pays de l'est conquis par l'Allemagne. Il s'agissait d'une stratégie des SS pour contrôler la population ou la réprimer par ces propres concitoyens en faisant vibrer la corde indépendantiste. Tout cela était un mensonge et ces hommes ou femmes ont été abandonnés ou exécutés.

Mais le SS les formaient à être de vrais espions dans des écoles en France. Le château de Taverny en était une. Ma famille habite tout près d'un château en Eure et Loir qui a été vers la fin de la guerre une de ces écoles.
Ces bretons étaient une petite minorité. Mais il n'en fallait pas plus pour causer un tort terrible l'image des bretons. La majorité des bretons ont subi l'occupant, se sont rebellés, sont entrés en résistance de différente façon.

A Saint-Malo, il n'y avait pas vraiment de résistance d'action vers la fin de la guerre. La configuration de l'intra ne s'y prêtait pas. Même si les allemands qui patrouillaient en ville avaient toujours très peur des embuscades dans les rues très très étroites de la ville.
C'était une résistance de renseignement à Saint-Malo, des petites mains, hommes, femmes, enfants qui recueillaient des informations sur la présence des allemands, de leur armement, de leur déplacement... Ils notaient tout et ce sont des convoyeurs comme Colette qui faisaient le lien entre les réseaux.

La romance qui sous-tend tout le récit est pure invention ? Pas de lien avec des choses vécues ou entendues ?

Oui, la romance est une pure fiction. J'ai eu l'idée de l'histoire lors d'une croisière dans la baie de

Saint-Malo. Le pilote du bateau racontait les us et coutumes des ilots. Et sur Cézembre, il raconta la coutume de l'oratoire de Saint-Brandan où les jeunes malouines allaient, au début du 20 ième siècle, piquaient d'une épingle le bout du nez de la statuette en bois de Saint Brandan. La coutume voulait qu'en rentrant à Saint-Malo, elles trouvent un bon mari. Cette chapelle a été entièrement détruite par les bombardements d'aout 1944. J'ai eu à ce moment l'idée de raconter les aventures d'un jeune couple d'amoureux malouins qui reviendrait une dernière fois dans cet oratoire avant qu'il ne soit pulvérisé par les bombes alliés. l'histoire a commencé ainsi...


Vous passiez souvent vos vacances à Saint-Malo quand vous étiez enfant. Un souvenir marquant ? 

En 1984, nous passions nos vacances à Saint-Malo au moi de Mai. C'était les 400 ans de la découverte du Québec par Jacques Cartier et les coefficients de marée étaient très fort. A la différence de nos vacances de juillet, nous étions chaudement habillés. La pluie faisait son apparition par intermittence. Nous nous promenions le long du sillon près des thermes et la marée était haute. les vagues se fracassaient sur le rempart. A cet endroit, le mur du rempart est incliné. Et malgré le temps gris et la fraicheur de l'atmosphère, de jeunes malouins, en maillot de bains, avaient décidés de jouer avec les vagues. Elles les projetaient sur le mur du rempart et ces jeunes se laissaient glissaient sur la pente. Puis ils attendaient la vague suivante !! Je me souviens avoir été épaté par leur courage d'affronter ces vagues !! Ils s'amusaient énormément !!


Je n'ai pas réussi à localiser la boulangerie des Gautier. Où est-elle ? 

De mémoire, il y avait 4 ou 5 boulangeries dans l'intra-muros pendant la guerre. Pour mes personnages, je souhaitais qu'ils restent fictifs, même pour les lieux où ils travaillaient ou ils vivaient. Si je devais localiser la boulangerie des Gauthier, elle serait vers la rue Saint Benoit, non loin de l'institution. près des remparts en face de Cézembre.

Vos projets pour 2021 ?

Mes projets : je continue ma série chez Delcourt, Golden City sur le tome 14 et je prépare un nouveau scénario historique mais vous n'en saurez pas plus ....

 


Un immense merci à Nicolas Malfin pour avoir accepté de me consacrer du temps pour cette interview malgré un emploi du temps extrêmement contraint !

Anne-Isabelle Gendrot - 8 février 2021

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